Vincent Canu avocat au barreau de parisSpécialiste en droit immobilier

L’exigibilité des loyers commerciaux pendant la période de confinement

Publié le 02/03/2021 09:00 - Catégorie(s) : Baux commerciaux, Droit des baux
Pour le tribunal judiciaire de Paris, les loyers sont dus.

La locataire d’une boutique faisait valoir qu’en application du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 reprenant les arrêtés des 14 et 15 mars 2020 prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et, notamment, la fermeture des magasins de vente, elle n’avait pu accueillir sa clientèle dans les locaux loués et avait dû fermer son commerce de vente d’objets d’art et de décoration du 15 mars au 11 mai 2020, soit pendant la période de confinement de 57 jours.

Elle soutenait que cette mesure de fermeture des commerces non essentiels l’avait empêché de jouir paisiblement des locaux commerciaux donnés à bail et, partant, d’exploiter son activité commerciale.

Cette circonstance constituait une inexécution de l’obligation du bailleur de délivrer les locaux et d’en assurer la jouissance paisible, mises à sa charge par l’article 1719 C.Civ.

Cette inexécution affectant les obligations essentielles du bailleur, était suffisamment grave pour justifier, en application de l’article 1219 C.Civ., l’exception d’inexécution du loyer, en ce qu’elle a totalement empêché l’exercice de son activité commerciale qui est pourtant l’objet même d’un bail commercial.

Le bailleur soutenait, lui, que les loyers étaient dus pour les raisons suivantes :

  • Le bail contenait une clause de renonciation du preneur à tout recours en responsabilité contre le bailleur, en cas de troubles apportés à sa jouissance par le fait d’un tiers.
  • La locataire a toujours eu la jouissance des lieux par la possession des clefs, pouvant y stocker son matériel et ses marchandises, voire s’y rendre pour travailler ;
  • Le manquement à l’obligation de délivrance ne lui est pas imputable puisque c’est la décision du gouvernement de fermer les commerces au public, et non l’état de l’immeuble, qui l’a empêchée de remplir cette obligation de sorte que le défaut de délivrance des locaux ne saurait lui être reproché ;
  • La mesure de fermeture des commerces imposée arbitrairement par le gouvernement a constitué pour le bailleur un obstacle insurmontable à l’exécution de son obligation de jouissance paisible, cette décision de l’autorité publique ayant clairement porté atteinte à l’équilibre financier des contrats, et, notamment, des baux commerciaux et étant constitutive du fait du prince qui caractérise, en matière civile, un cas de force majeure.
  • La cour de cassation a admis, dans un arrêt du 29 avril 2019 (3ème ch. n°08-12.261), que l’obligation du bailleur d’assurer au preneur la jouissance paisible des locaux, cesse en cas de force majeure.
  • Ainsi, ne pouvant par aucun moyen contrevenir à la décision administrative de fermeture des commerces, le bailleur était de fait exonéré de son obligation de délivrance.

Le tribunal rappelle qu’en application de l’article 1719 C.Civ., le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée en mettant à sa disposition, pendant toute la durée du bail, des locaux conformes à leur destination contractuelle, dans lesquels il est en mesure d’exercer l’activité prévue au bail, et d’en faire jouir paisiblement celui-ci pendant la même durée.

Mais cet article n’a pas pour effet d’obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif dans lequel s’exerce son activité.

D’autre part, et par application de l’article 1728 C.Civ., le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

En application des articles 1217 et 1219 C.Civ., la partie peut refuser d’exécuter l’obligation contractuellement mise à sa charge, alors même que celle-ci est exigible, si son cocontractant n’exécute pas l’obligation dont il est réciproquement tenu, et si cette inexécution est suffisamment grave.

Le tribunal relève que la locataire ne discute et ne conteste pas que la configuration, la consistance, les agencements, les équipements et l’état des locaux à elle remis par le bailleur en exécution du bail les liant lui permettent d’exercer l’activité à laquelle ils sont contractuellement destinés.

Mais le trouble de jouissance dont se prévaut la locataire, du fait de la fermeture administrative de son commerce, entre le 15 mars et le 11 mai 2020, imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre la propagation de l’épidémie, n’est pas garanti par le bailleur.

Dès lors, la locataire n’est pas fondée à exciper, au soutien de sa demande de restitution des loyers, de l’inexécution par le bailleur de ses obligations de délivrer les locaux loués et de garantir leur jouissance paisible.

Cette décision du juge du fond est à rapprocher de celle rendue dans le même sens par la cour d’appel de Grenoble le 5 novembre 2020 (DPGI février 2021 p9).

D’autres décisions ne manqueront pas d’être rendues sur le même sujet.

Plutôt que d’attendre une décision de la cour de cassation, peut-être le gouvernement, qui est à l’origine de la fermeture des commerces, pourrait-il prendre des mesures d’aide au paiement des loyers commerciaux, comme il l’a fait en prenant en charge les salaires par le biais du chômage partiel.

TJ Paris 25 février 2021 – n°RG 18/02353



L’interdiction d’ouverture d’un commerce peut justifier la contestation sérieuse opposée par le locataire au paiement du loyer.

Une ordonnance de référé rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a condamné la société locataire à payer des loyers arriérés dus pendant la période de confinement du 16 mars au 10 mai 2020.

Sur appel, la cour d’appel de Versailles infirme l’ordonnance en relevant que même s’il n’y a pas destruction physique du bien objet du bail, il y a juridiquement perte lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à sa destination.

En l’espèce, selon les stipulations du bail commercial, les biens loués sont destinés exclusivement aux activités de : « vente de robes de mariées, de soirée, de cocktail, toutes tenues de cérémonie et tous modèles de couture ou prêt à porter, textile ou vêtement, négoce de tous articles de mode se rapportant à la personne : ceintures, sacs, bijouterie fantaisie, montres, cadeaux accessoires, gadgets cosmétiques et toutes branches annexes, toutes prestations de service se rapportant aux cérémonies nuptiales, civiles et religieuses »

Ainsi, il en résulte que les locaux loués ont été soumis à l’interdiction d’ouverture puis à l’interdiction pour la population de se déplacer.

Il est ainsi établi que durant la période concernée, la société locataire n’a pu ni jouir de la chose louée, ni en user conformément à sa destination.

Dans ces conditions, l’allégation par le locataire de la perte partielle des locaux loués en application des dispositions de l’article 1722 du code civil revêt le caractère d’une contestation sérieuse opposable à son obligation de payer le loyer et les charges pendant la période de fermeture contrainte du commerce.

Il en résulte qu’il n’y a lieu à référé sur la demande provisionnelle de paiement des loyers concernant la période de confinement.

Cette décision est en ligne avec d’autres décisions rendues dans le même sens, également en référé (TJ Paris – 26 octobre 2020 et 21 janvier 2021).

La tendance qui se dégage de la jurisprudence actuelle est que le juge des référés, au contraire du juge du fond, refuse de condamner le locataire à payer les loyers dus pendant la période de confinement.

CA Versailles – 14ème ch. 4 mars 2021 - n°20/02572